Harvard WorldMun 2017
Le Jour-J est arrivé : le départ pour ce qui s’avérera être l’une des expériences les plus enrichissantes et déstabilisantes de mon parcours estudiantin est imminent. Munis de mon bagage d’apprenti sociologue, j’embarque à destination de Montréal, à l’occasion de la 26ème édition du plus prestigieux événement MUN : Harvard WorldMun (World Model United Nations). Ayant lieu une fois par année, WorldMun rassemble près de 2500 étudiants originaires des 4 coins du monde, venus défendre avec ardeur les intérêts d’un pays leur ayant été préalablement attribué. C’est en effet une reproduction des Nations Unies, à l’échelle internationale, imitant les règles relatives au fonctionnement de l’organisation.
C’est au Palais des Congrès, imposant complexe disposant de nombreuses salles adéquatement équipées, que se déroulera cette semaine de débats et d’échanges. La cérémonie d’ouverture annonce la couleur : le secrétaire général, ainsi que les politiciens, chanteurs et danseurs se partageant tour à tour la scène, rappelleront par la qualité de leur prestation, les raisons du prestige de cet évènement. De plus, chaque détail, comme le port d’un badge mentionnant son prénom, sa délégation et le pays à représenter, permet à chacun de se mettre dans la peau d’un authentique délégué onusien.
Pour une personne expérimentant WorldMun pour la première fois, l’éloquence et la précision des informations lors des interventions de la plupart des délégués peut être impressionnante, voire même intimidante. Certains d’entre eux, étudiants dans de prestigieuses universités comme Harvard ou Yale, ont vite fait de vous faire de l’ombre si votre préparation a été quelque peu minimale, ou que l’angoisse prend le pas sur votre envie de faire bonne impression. Aussi, sachant la nature ‘’fictive’’ de WorldMun, étant donné que les débats et résolutions ne sont théoriquement pas pris en compte par les réels Conseils de l’ONU, il est intéressant de relever l’intensité, le sérieux et l’engagement avec lequel les délégués entament les négociations.
Cette intensité peut néanmoins être en partie expliquée. En effet, dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud, gagner un ‘’Diplomacy award’’ (symbolisant la consécration ultime pour chaque délégué, distribué en fin de semaine, récompensant les meilleurs talents en diplomatie et en rhétorique) est une porte d’entrée pour l’obtention de bourses octroyées par les gouvernements respectifs, et par extension, être admis dans une université nord-américaine. Par ailleurs, dans la majorité des pays, que ce soit en Amérique latine ou en Europe, comme par exemple à la Sorbonne à Paris, les étudiants sont sélectionnés par le biais de divers débats intra-muros, et les meilleurs d’entre eux auront donc le privilège de représenter leur université. Ainsi, le rapport à la compétition diffère d’une délégation à une autre, et celui-ci peut tout autant être facteur de manque de fair-play tant l’envie de se distinguer est forte, que de rehaussement de niveau global des débats et échanges.
N’ayant pas encore abordé l’aspect peut-être plus glamour du WorldMun, il serait dommage de ne pas le présenter tant sa place est centrale dans le programme de la semaine. Je parle évidemment des ‘’Social events’’, ces 6 soirées préparées et conçues sur mesure pour divertir les participants. Chacune d’entre elles mobilisant d’importantes infrastructures : les boîtes de nuit, cabarets et diverses salles privatisées à l’intention des 2500 délégués constituent en effet une belle occasion de passer un excellent moment, de faire énormément de rencontres, et pour les plus investis et déterminés, de faire du lobbying et des alliances utiles au lendemain.
Il y a maintenant un autre aspect, aussi curieux qu’épatant, dont j’aimerais ici faire part. Naturellement, s’absenter de ses activités respectives et partir à l’étranger, ne serait-ce que le temps d’une semaine, n’est pas nécessairement à la portée de tout le monde, notamment en termes de moyens économiques, d’autant plus si les coûts sont entièrement à la charge du participant.
Ayant discuté et sociabilisé avec de nombreux délégués, je constatais que la grande majorité d’entre eux appartenait à une classe sociale qu’on pourrait qualifier de « moyenne supérieure » ou « supérieure », de par le genre de professions exercées par les parents (de nombreux fils d’avocats, d’entrepreneurs renommés, de diplomates, d’hommes d’affaires, etc…). C’est donc en quelque sorte, particulièrement pour les pays dits en voie de développement, les ‘’élites’’ qui participent à cet événement. Aussi, leurs filières d’étude respectives ne sont, en général, pas destinée à leur ouvrir les portes du monde diplomatique, mais plutôt celles du business ou de la médecine. Il y a bien entendu une part importante, quoique minoritaire, d’étudiants provenant de facultés de science politique ou de relations internationales.
Ainsi, connaissant l’essence même des activités MUN et leur but final, à savoir la rédaction à la fin de la semaine d’une ‘’Draft resolution’’ censée ‘’résoudre’’ des problématiques réelles touchant les pays et leurs populations, nous pourrions être amenés à remettre en question les raisons qui poussent ces jeunes issus de milieux privilégiés, et n’étant pas forcément prédestinés à œuvrer dans les sphères caritatives ou diplomatiques, à vouloir se prêter au jeu fictif de l’amélioration globale monde. Sont-ils réellement habités par un altruisme, une conviction, un fort sens d’aide au prochain, ou serait-ce davantage l’envie de reconnaissance, de titres, de satisfaction égotiste qui les poussent à défendre avec ardeur, par exemple les droits des réfugiés… La question reste évidemment ouverte, et la réponse n’est certainement pas univoque.
Néanmoins, ce paradoxe irrésolu n’enlève rien à la magie et à l’atmosphère tant concurrentielle que décontractée que dégage WorldMun, ni aux souvenirs extrêmement riches en émotion que chaque délégué emporte avec lui.
Jaffar Mountazar, membre de Mosaïque UNIL
Image : https://theplantnewspaper.com/2016/10/dawson-college-hosting-harvard-united-nations-conference/