Machiavelli et la participation politique populaire
Une lecture (conventionnelle) républicaine de Machiavelli
Niccolò Machiavelli (1469-1527), fonctionnaire florentin et auteur d’œuvres politiques comme Il Principe et Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, a exercé une influence conséquente sur le développement de la philosophie politique, notamment à travers l’abandon qu’il opère d’une réflexion idéaliste de l’Etat, ainsi que l’adoption d’une approche réaliste.
Maintes fois ont été avancées des analyses plaçant Machiavelli dans le champ du républicanisme aristocratique, à savoir un courant défendant la représentation comme seul instrument à travers duquel la participation politique populaire s’exprime et agit. Défenseurs de cette sorte de républicanisme furent notamment Francesco Guicciardini, contemporain et ami de Machiavelli, et James Madison. Ce courant n’est donc pas à confondre avec le républicanisme démocratique, qui trouve ses origines historiques dans l’expérience démocratique athénienne.
Ces analyses ont été avancées notamment – mais non seulement – par l’Ecole de Cambridge, un ensemble de partisans de la pensée républicaine, au sein de laquelle se trouvent des auteurs comme Pocock, Skinner, Viroli et Pettit. Skinner, par exemple (1990a : 141) identifie deux propositions de Machiavelli qui résumeraient son essence républicaine : aucune cité ne peut jamais atteindre la grandeur sans maintenir une ‘libre manière de vivre’ (« free way of life ») ; et aucune cité ne peut maintenir une ‘libre manière de vivre’ sans être régie par une constitution républicaine.
Cependant, selon McCormick (2003 : 636) – un expert de la pensée politique de la Renaissance – ces auteurs n‘interprètent pas correctement la théorie politique du fonctionnaire florentin et négligent de multiples éléments qui sont pourtant importants si l’on souhaite rendre compte de manière vraisemblable de sa pensée. En effet, Machiavelli semble prôner une participation plus active et contestatrice du peuple, le populo, ce dernier étant entendu comme plèbe, terme qui exclut ainsi les ottimati, c’est-à-dire les élites de la société. Cette prise de position éloigne par conséquent l’auteur du républicanisme aristocratique.
L’explication de sa pensée proposée ici va se structurer autour de trois axes : la différence entre populo et ottimati ; l’importance des lois pour garantir la liberté ; et, enfin, les instruments de la participation politique populaire proposés par Machiavelli. L’analyse de son discours va en outre permettre de conclure en avançant quelques réflexions concernant le cas de la démocratie suisse.
Au long de cet article seront utilisées des abréviations pour indiquer la référence à des œuvres de Machiavelli :
- D : Machiavelli, Niccolò 2000 (1513-17), Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio; seguiti dalle Considerazioni intorno ai Discorsi del Machiavelli di Francesco Guicciardini: a cura di Corrado Vivanti, Torino: Einaudi.
- DF : Machiavelli, Niccolò 1971 (1519-20), « Discursus Florentinarum rerum post mortem iunioris Larurentii Medicis», in Tutte le opere : a cura di Mario Martelli, Firenze : Sansoni, 24-31.
- P : Machiavelli, Niccolò 2008 (1513), Il Principe : a cura di Raffaele Ruggiero, Milano : BUR.
Il a été en outre choisi d’utiliser les oeuvres dans leur version originale. Pour cette raison, les citations sont en italien. Pour faciliter la compréhension, dans les notes au fond de l’article sont proposées des traductions élaborées personnellement.
1. Deux humeurs différentes opposées : populo et ottimati
Dans la société coexistent deux humeurs (P, IX et D, I.4) : l’une est celle de ne pas vouloir être dominé, l’autre celle de vouloir dominer et opprimer. Alors que la première est possédée par le populo, la deuxième caractérise les ottimati. Cette distinction nette entre les deux classes composant la société est fondamentale pour le développement de la théorie machiavélienne, étant donné que de multiples conséquences en résultent.
Premièrement, le Prince – pour se maintenir au pouvoir – devrait chercher le soutien populaire et non celui des élites (P, IX). Les élites le considèrent comme leur égal et, pour cette raison, elles sont moins enclines à la soumission et l’obédience. Le prince ne peut pas s’appuyer sur elles de manière stable, puisque ces élites résultent plus difficilement contrôlables. Ainsi, dès que le mécontentement envers la gestion des affaires par le Prince commence à se diffuser parmi les ottimati – ce qui arrive promptement étant donné que leurs désirs sont insatiables – ces derniers n’hésitent pas à se débarrasser de ce dernier, en organisant un complot, en s’alliant avec un ennemi, ou en demandant l’intervention d’une puissance étrangère. L’insatiabilité des élites dérive de leur désir de vouloir toujours opprimer et posséder davantage. De surcroît, le prince n’aurait aucune difficulté à satisfaire le peuple et, de cette manière, de s’allier avec lui en établissant des bonnes lois ; cela serait possible, puisque le peuple ne désire rien d’autre que de vivre dans la sécurité (D, I.16). En addition à ces observations de caractère purement stratégique, Machiavelli avance également une considération morale : « non si può con onestà satisfare a’ grandi, e sanza inuiria di altri, ma sì bene al populo : perché quello del populo è più onesto fine che quello de’ grandi, volendo questi opprimere e quello non essere oppresso »[1] (P, IX : 111).
Deuxièmement, l’honnêteté du peuple le rend plus apte à être le « gardien/veilleur de la république » (D, I.5); ceci signifie qu’il est moins apte à violer les lois en vue de satisfaire leur humeur (D, I.4), ses désirs sont moins dangereux pour la république et il possède une volonté majeure d’être libre (P, IX). Inversement, l’insatiabilité des élites représente tendanciellement un danger pour la liberté de tous : « the people tend to respect the laws under which they live, while princess do not ; those inclined to live free of oppression uphold laws that protect them, while those who are inclined to oppress others seek to use the laws to further their reprehensible ends, and, failing that, they readily break them. » (McCormick, 2011 : 76-77).
Une telle situation conflictuelle au sein de la cité, qui pourrait être considérée aux yeux de la plupart des observateurs comme néfaste et à éviter à tout prix, est extrêmement bénéfique car elle est à la base de toute loi protégeant et garantissant la liberté des citoyens. Dans le cadre d’une république où les deux corps sociétaux s’opposent systématiquement, une loi ne peut entrer en vigueur que si elle est approuvée par les élites et la plèbe en même temps. Pour cette raison, selon Machiavelli, les conflits de classes sont nécessaires pour le maintien de la liberté. Afin de renforcer son argument, il utilise l’exemple de la République romaine – où les Tribuns populaires, nés eux-mêmes grâce aux tumultes provoqués par le mécontentement du populo, s’opposaient au Sénat aristocratique – et explique ainsi sa longévité. Pour citer Claude Lefort, « c’est seulement là où le conflit trouve à se manifester, c’est-à-dire là où le peuple se montre capable de résister à l’oppression des grands, que se forgent des bonnes lois, que la République mérite vraiment son nom » (1992 : 166).
2. L’importance des lois
Dans la pensée machiavélienne, les hommes ne sont pas naturellement bons et honnêtes mais tendent plutôt à la corruption, entendue ici comme la poursuite d’ambitions et/ou d’avantages personnels ou factionnels au détriment du bien commun (Skinner, 1990a : 138).
Selon Machiavelli, les individus agissent en fonction de la nécessité ; les lois sont ainsi essentielles pour qu’ils se comportent bien : « la fame e la povertà fà gli uomini industriosi, e le leggi gli fanno buoni »[2] (D, I.3, 16). Claude Lefort soutient cette idée en avançant que « le projet machiavélien vise à montrer quelles sont les conditions à partir desquelles les hommes sont placés dans la nécessité de se conduire en bons citoyens ou bons sujets » et motive ainsi la préférence du fonctionnaire florentin pour une république parce qu’ « elle tient mieux compte de la nécessité en conciliant l’ambition du petit nombre avec les besoins de la multitude » (1992 : 157). Ces analyses reflètent l’extrême pragmatisme de Machiavelli et sa volonté de se pencher sur des vérités positives, sur la « verità effettuale » (P, XV : 147).
Skinner s’interroge aussi sur la relation entre la liberté et la loi, ainsi que sur la légitimation machiavélienne de cette dernière, et relève l’importance de son caractère coercitif : « the justification of law has nothing to do with the protection of individual rights : the main justification for its exercise is that, by coercing people into acting in such a way as to uphold the institutions of a free state, the law creates and preserves a degree of individual liberty [3] which, in its absence, would promptly collapse into absolute servitude » (1990b : 305).
Pour cette raison, le peuple devrait être confiné par les lois. Ces dernières lui donneraient un espace et des instruments pour défendre ses intérêts, sans que ses actions revendicatives représentent un danger pour la stabilité et la survie de la république ou pour celle des élites. De surcroît, la présence de procédures formalisées oblige et conduit le peuple à prendre des décisions raisonnées, et à se distancier ainsi des humeurs populaires vindicatives. En effet, Machiavelli reconnaît le danger de l’opinion populaire fourvoyée (D, I.8) ; inversement, il est convaincu que le jugement populaire peut être objectif. Il est alors essentiel que la société dispose de cette forme d’apaisement social et d’apprentissage politique.
Donc, si la loi canalise le peuple et lui permet d’initier, de discuter, de juger à travers des institutions le représentant – les Tribuns romains notamment – les ottimati ne doivent pas craindre la violence populaire, mais plutôt favoriser une telle situation, car elle résulterait bénéfique pour eux aussi, puisque, comme l’observe Machiavelli dans le chapitre II.6 des Discorsi, « a principality is almost always a disadvantageous outcome for the nobility and on many occasions it may very well be so for the people as well » (McCormick, 2011 : 28).
Machiavelli (D, I.7) mobilise l’exemple historique de Gaius Marcius Coriolanus, un patricien romain, qui proposa, lors d’une crise interne de la société romaine entre le Sénat et le peuple qui eut lieu en 491 av. J-C., de laisser mourir de faim le populo. Or, la raison pour laquelle il ne fut pas agressé et brutalement assassiné par la foule, ce qui aurait eu selon Machiavelli des conséquences néfastes pour le sort de la République romaine, fut l’intervention des Tribuns populaires, qui l’accusèrent et l’obligèrent à affronter un procès public.
3. Les instruments de la participation politique populaire
Finalement, quels sont les moyens envisagés par le fonctionnaire florentin à travers desquels la participation populaire aux processus décisionnels se concrétise ? McCormick (2011 : 49) en identifie plusieurs : une institution politique propre à la plèbe à l’image des Tribuns romains ; la possibilité d’accuser publiquement et de juger populairement ; des assemblées délibératives et législatives ; l’éligibilité de candidats appartenant au populo pour des magistratures normalement assignées aux grandi ; et, in fine, la revendication d’une distribution économique (plus) équitable.
Or, il est normal d’imaginer que les élites pourraient craindre la mise en accusation populaire, qui à leurs yeux permettrait des pures et simples représailles du populo. Cependant, d’un point de vue machiavélien, elles n’auraient rien à craindre. Dans les chapitres I.7 et I.8 des Discorsi, Machiavelli opère une distinction fondamentale entre les accusations et les calomnies. D’un côté, les accusations ont deux effets bénéfiques : elles évitent qu’un citoyen agisse à l’encontre du bien commun par peur d’être puni et elles permettent de donner libre cours à des sentiments de colère de manière réglée. Le deuxième effet est tout à fait essentiel au maintien de la république, parce qu’une punition publique est beaucoup plus légitimée qu’une rétorsion privée. Elle soustrait la république aux conséquences que des représailles privées lui causeraient, à savoir le désir de vengeance, qui engendrerait pour Machiavelli des événements dangereux pour la liberté. Les accusations publiques sont donc immensément précieuses pour la république : « a coloro che in una città sono preposti per guardia della sua libertà, non si può dare autorità più utile e necessaria, quanto è quella di accusare i cittadini al popolo, o a qualunque magistrato o consiglio, quando peccassono in alcuna cosa contro allo stato libero »[4] (D, I.7 : 25).
D’un autre côté, la calomnie est dangereuse pour la république et devrait par conséquent être sévèrement punie. La manière la plus efficiente pour contrer la calomnie est de disposer d’institutions légales pour la recevoir et juger publiquement. Si aucune preuve, ou témoins, ne sont fournis, le peuple ne va jamais condamner l’accusé : « quanto le accuse giovano alle repubbliche, tanto le calunnie nuocono ; e dall’una all’altra parte è questa la differenza, che le calunnie non hanno bisogno né di testimone né di alcuno altro particulare riscontro a provarle, in modo che ciascuno e da ciascuno può essere calunniato ; ma non può già essere accusato, avendo le accuse bisogno di riscontri veri e di circunstanze che mostrino la verità dell’accusa »[5] (D, I.8 : 29).
Dans le chapitre I.8 des Discorsi, Machiavelli utilise un exemple historique pour soutenir son propos. Héros et sauveteur de la République lors de l’invasion gauloise en 390 av. J-C, Marcus Manlius Capitolinus devint jaloux de Furius Camillus, auquel avait été attribuée la majorité des honneurs et de gloire pour la victoire. Son ambition l’amena alors à s’adresser à la plèbe et à calomnier les sénateurs afin d’engendrer une révolte populaire. Le Sénat, pour faire face à la menace, demanda à Manlius de soutenir ses accusations publiquement ; n’ayant pas de preuves, le peuple l’abandonna et Manlius fut condamné.
Cette observation amène à l’idée selon laquelle le peuple dispose non seulement de la capacité de juger objectivement, mais qu’il juge également mieux que quiconque : « mai un uomo prudente non debba fuggire il giudicio populare nelle cose particolari, circa le distribuzioni de’ gradi e delle dignità : perché solo in questo il popolo non s’inganna ; e se s’inganna qualche volta, fia sí rado che s’inganneranno più volte i pochi uomini che avessono a fare simili distribuzioni » [6] (D, I.47, 105). Machiavelli affirme qu’il existe trois domaines dans lesquels le discernement plébéien est meilleur : les procès politiques, le choix des magistrats et l’édiction de lois (McCormick, 2011, 65). Il va sans dire, pour que le peuple – ainsi que tout autre individu et instance de pouvoir – agisse honnêtement, il faut qu’il soit encadré – « incatenato » (D, I.58 : 127), c’est-à-dire ‘enchaîné’ – par les lois.
Un énième exemple historique porté par Machiavelli (D, I. : 47) est celui de Pacuvius Calanus, magistrat suprême de la ville de Capua lors de la deuxième Guerre Punique (218-202 av. J-C). Tandis qu’une armée de Carthage s’approchait à la ville, Capua était divisée par des fortes tensions entre la plèbe et la noblesse. Pacuvius décida d’enfermer les sénateurs et de convoquer une assemblée populaire, à laquelle il donna la possibilité de juger les aristocrates et d’éventuellement les condamner à mort ; ceci à une condition : chaque sénateur condamné aurait dû être remplacé par un individu appartenant au peuple. Face à cette opportunité, aucun sénateur ne fut cependant condamné, puisque l’assemblée n’arrivait pas à identifier une personne plus capable et compétente que les sénateurs existants. Cet exemple sert à montrer que, lorsqu’il est confronté à un choix particulier, le peuple détient la capacité de juger objectivement, et même, d’oublier son désir de vengeance.
Conclusion
Outre à son activité de réflexion sur la structure d’une république stable, Machiavelli eut l’occasion de proposer une véritable et concrète réforme politique florentine à Giovanni de’ Medici (Pape Léon X), proposition qu’il exposa dans son « Discours sur les affaires florentines ». Dans son projet politique, il avait prévu la création d’un organe similaire aux Tribuns romains, les proposti (DF : 29), dont l’essentialité des pouvoirs se résumait à la possibilité de bloquer les processus décisionnels des institutions où siégeaient les ottimati – Signoria et Consiglio dei scelti. Cet organe aurait été élu à travers le tirage au sort. Il est intéressant de remarquer que les proposti auraient fonctionné à la fois comme un organe populaire de contrôle sur les élites, mais aussi comme une opportunité pour le peuple de recevoir une éducation politique (McCormick, 2011, 106).
Or, est-ce que le système suisse aurait besoin et bénéficierait de l’adoption d’un système similaire ? Et si la réponse était affirmative, quelles seraient les potentielles solutions réellement envisageables ?
En Suisse, les instruments référendaires permettent une participation politique populaire plus importante que dans d’autres pays (Kriesi, 1998 : 90). Une fonction de véto populaire est théoriquement remplie par le référendum facultatif (Sciarini et Trechsel, 1996 : 6). Cependant, une question qui a été souvent posée concerne la relation entre le poids du consensus au sein de l’élite politique et les résultats des votations populaires. Les réponses des politologues suisses Sciarini et Trechsel (1996 : 26) à propos de cette interrogation sont intéressantes : « le consensus intra-élite exerce un effet immédiat sur une éventuelle campagne de récolte de signatures qui suit directement l’approbation de l’acte au Parlement, mais perd ensuite (presque) toute signification lorsque le référendum facultatif aboutit et que le vote a lieu ». Ceci signifie que d’un côté, l’élite politique exerce un contrôle conséquent sur ce qui devient objet de votation, mais non sur les résultats de cette dernière. Cette observation doit pourtant être nuancée, puisque l’élite politique influence l’issue de manière conséquente dans le cas des initiatives populaires et des référendums obligatoires (Sciarini et Trechsel, 1996 : 25). L’idée que le référendum soit un instrument de véto populaire est ainsi relativisée.
Il serait donc possible – dans une optique machiavélienne, où la participation politique populaire est essentielle – d’avancer le besoin de limiter davantage l’influence de l’élite sur l’usage de cet instrument, ainsi que de faciliter son emploi par le peuple.
Une solution possible serait la création de petits conseils citoyens à caractère délibératif, à l’instar des « minipublics » que McCormick prône (2011 : 182). De tels conseils seraient formés à travers le tirage au sort parmi le peuple, et leur tâche serait d’examiner et d’évaluer la conduite de l’Assemblée fédérale à propos d’un certain sujet. Ainsi, les citoyens auraient la possibilité de s’informer, de réfléchir, de débattre et de juger dans un cadre formalisé ; ce qui rendrait leurs prises de décision plus objectives. Les délibérations des conseils seraient ensuite transmises à la population entière, afin de la renseigner davantage sur les décisions parlementaires. Ces informations « de citoyen en citoyen » œuvreraient à un usage plus conscient, et possiblement plus « populaire » que les référendums. La tâche indirecte, mais non moins importante, des conseils serait de rapprocher et éduquer le peuple à la politique. Cette éducation permettrait de développer l’exercice de ce que les Grecques appelaient parrêsia, traduisible par « dire-vrai » ou « franc-parler » (de Monvallier, 2009), c’est-à-dire une vertu civique qui oblige le citoyen à émettre son avis sincère et entrer en argumentation, alimentant ainsi le débat.
Il va sans dire qu’il est fondamental de garantir la transmission d’information la plus transparente possible, puisque seulement dans une telle situation serait-il possible de délibérer en toute connaissance de cause. Le défi serait alors de lutter contre l’influence des élites sur l’information et sur les médias.
Une telle proposition, bien sûr, présente des limites. Premièrement, il est nécessaire de s’interroger sur sa faisabilité, et sur sa mise en application. Deuxièmement, il serait fondamental de pouvoir mettre sur un pied d’égalité tous les citoyens, ce qui n’est pas évident. Certains individus possèdent des caractéristiques – éducation, bien-être économique, statut social – qui facilitent leur influence sur les autres. Troisièmement, il serait curieux de savoir ce que Machiavelli – pour lequel le chaos et l’instabilité de Florence, et de l’Italie plus généralement, avaient joué un rôle important dans la construction de sa pensée qui se vise en effet à conceptualiser un système politique garantissant la stabilité – aurait pensé de la situation actuelle suisse, qui jouit déjà d’une stabilité remarquable.
Notes en bas de page
[1] « Les grands ne peuvent pas être satisfaits agissant de manière honnête et sans de conséquences négatives pour d’autres ; par contre, le prince peut se comporter honnêtement et au même temps satisfaire l’humeur du peuple : parce que sa fin est plus honnête que celle des grands, comme ces derniers veulent opprimer et le peuple désire de ne pas être opprimé ».
[2] « La faim et la pauvreté rendent les hommes ingénieux, les lois les rendent bons ».
[3] En italique par choix personnel.
[4] « L’autorité de pouvoir accuser publiquement un individu ayant agi contre la liberté commune, devant le peuple, ou devant un magistrat ou conseil, est l’autorité la plus utile est nécessaire pour exercer le rôle de gardien de la liberté ».
[5] « Les calomnies nuisent à la République autant que les accusations la bénéficient. La différence est que les calomnies ne nécessitent pas de preuves, chacun peut calomnier n’importe qui ; mais on ne peut pas accuser quelqu’un sans fournir des preuves démontrant la vérité ».
[6] « Un homme prudent ne devrait jamais fuir le jugement populaire à propos de la distribution des postes : parce que ici le peuple ne se leurre pas ; et s’il se leurre quelques fois, ça lui arrive moins souvent que quand les mêmes tâches sont assignées à un petit groupe ».
Sources :
– Machiavelli, Niccolò 2008 (1513), Il Principe : a cura di Raffaele Ruggiero, Milano : BUR.
– Machiavelli, Niccolò 2000 (1513-17), Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio; seguiti dalle Considerazioni intorno ai Discorsi del Machiavelli di Francesco Guicciardini: a cura di Corrado Vivanti, Torino: Einaudi.
– Machiavelli, Niccolò 1971 (1519-20), « Discursus Florentinarum rerum post mortem iunioris Larurentii Medicis » (« Discours sur les affaires florentines), in Tutte le opere : a cura di Mario Martelli, Firenze : Sansoni, 24-31.
Bibliographie :
– Kriesi, Hanspeter (1998), Le système politique suisse. Paris : Economica.
– Lefort, Claude (1992), « Machiavel et la verità effetuale », in Lefort, Claude, Ecrire : à l’épreuve du politique, Paris : Calmann-Lévy, 141-179.
– McCormick, John (2003), « Machiavelli against Republicanism: On the Cambridge School’s ‘’Guicciardinian Moments’’ », Political Theory, Vol. 31, No. 5, 615-643.
– McCormick, John (2011), Machiavellian Democracy, Cambridge: Cambridge University Press.
– de Monvallier, Henri (2009, « Michel Foucault : Le Courage de la vérité. Le Gouvernement de soi et des autres II », http://www.actu-philosophia.com/spip.php?article124, consulté le 09 juin 2016.
– Sciarini, Pascal, et Trechsel H., Alexandre (1996) « Démocratie directe en Suisse : l’élite politique victime des droits populaires », Swiss Political Science Review 2(2), 1–35.
– Skinner, Quentin (1990a), « Machiavelli’s Discorsi and the pre-humanist origins of republican ideas », in Bock, Gisela, Skinner, Quentin, Viroli, Maurizio, Machiavelli and Republicanism, Cambridge: Cambridge University Press, 121-141.
– Skinner, Quentin (1990b), « The republican ideal of political liberty », in Bock, Gisela, Skinner, Quentin, Viroli, Maurizio, Machiavelli and Republicanism, Cambridge: Cambridge University Press, 293-309.